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Création d’un homicide routier : ce que cache l’effet d’annonce

Transport - Route
27/02/2023
Un drame de la route récent, dans lequel est impliqué un humoriste français célèbre, inspire au ministre de l’Intérieur un débat sémantique : transformer la qualification d’« homicide involontaire aggravé d’une circonstance de conduite après usage de stupéfiant ou de conduite sous l’empire d’un état alcoolique » en « homicide routier » permettrait-il pour autant aux juridictions de rendre une meilleure justice ? Cela n’évitera pas les débats qui caractérisent la réalité judiciaire et n’éclairera ni les victimes, ni les auteurs.
« Bien nommer les choses permet de prendre conscience de l’ampleur de ces drames » : Gérald Darmanin, le 18 février 2023, justifie ainsi son souhait que les accidents mortels dus à la drogue et à l’alcool reçoivent comme qualification nouvelle celle d’homicide routier. Il n’échappe à personne que le récent et effroyable accident routier de Seine-et-Marne, très médiatisé autour de la personne de l’auteur présumé des faits, provoque ces annonces, ce qui éveille la méfiance tant il est difficile de prendre de justes options dans l’urgence et l’alarme.
En réalité, le ministre de l’Intérieur assigne au changement de vocabulaire une fin, à savoir celle d’une conscience renforcée de l’ampleur des drames, ici routiers. Selon lui, les mots utilisés ‒ « l’homicide involontaire » ‒ rendent aujourd’hui difficiles l’interprétation de l’intention exacte de l’auteur.
Cette confusion sensible naît généralement d’une précipitation dans la prise de position, dictée par des nécessités sans rapport avec le fond de la matière abordée. Pourtant, les mots du langage servent aussi à exprimer avec justesse des idées qui peuvent être plus ou moins complexes lorsqu’ils sont en rapport avec une science, dans le cas présent, le Droit : dans la qualification d’homicide involontaire aggravé d’une circonstance de conduite après usage de stupéfiant ou de conduite sous l’empire d’un état alcoolique, ou en état d’ivresse manifeste, vivent et se transmettent des notions importantes. L’expression d’homicide routier ne traduit malheureusement rien qui soit compréhensible, en droit, pour l’instant et sans doute durablement.

Masquer une réalité juridique, pour quoi faire ?
La volonté qui anime le changement de terminologie est, dit-on, le besoin de gommer le terme « involontaire ». L’expression nouvelle d’homicide routier serait donc tout d’abord un voile destiné à masquer une réalité juridique, qui resterait la même, c’est-à-dire celle d’un délit involontaire. Les justiciables bénéficieraient de cette dissimulation, selon les tenants du changement de vocabulaire : ainsi, les victimes ne percevraient plus le délit involontaire comme tel ; l’auteur, de même. C’est a priori le but de la transformation. Dès lors, la juridiction, les avocats, les assureurs, etc., enfin les professionnels, continueraient de discuter sur les distinctions indispensables du droit, qui emportent des retentissements fondamentaux sur l’issue du procès pénal et sur la couverture des dommages au plan civil, mais les justiciables ne devraient pas avoir accès à celles-ci car, pour eux, l’homicide serait tenu pour « routier ».
L’expression serait-elle utile par son impact psychologique ? Les victimes, proches du défunt, se sentiraient-elles mieux soutenues dans leur douleur, et auraient-elles une meilleure compréhension du drame et du travail des tribunaux et des cours ? Les auteurs, quant à eux, seraient-ils plus édifiés et plus justement punis ? En un mot, une meilleure justice serait-elle rendue par la juridiction saisie lorsqu’elle parlerait d’homicide routier en lieu et place, et pour simplifier, d’homicide involontaire ?
Il se comprend de l’intention de la proposition de loi (voir encadré) et des déclarations du ministre, que les justiciables, victimes et auteurs, seront tenus dans un lieu étrange, théâtre d’ombres où les uns – victimes – penseraient librement, croit-on, que le défunt a été victime d’un acte qui n’est pas vraiment involontaire, voire qui est peut-être volontaire, et les autres – auteurs –  qui estimeraient que l’acte pour lequel ils sont poursuivis est, plus ou moins volontaire ou involontaire, selon la perception qu’ils en ont.

Le risque de cacher questionnements et réponses
Pourtant, derrière les ombres existe une réalité judiciaire, constituée de débats sur les nullités, les questions avant dire droit, pour savoir si le délit est volontaire, ou involontaire, s’il est aggravé ou pas, s’il est commis en récidive ou non, si la circonstance aggravante est, ou n’est pas, en lien avec l’homicide, etc. Homicide routier ou pas, il faudra bien continuer d’échanger sur le point de savoir si les victimes par ricochet, au plan civil, nonobstant le décès, doivent voir reconnu leur droit à indemnisation, si des fautes peuvent être opposées au défunt et réduites dès lors, l’indemnité revenant aux vivants…
Pour tout dire, il apparaît difficile d’accepter que l’on fasse principe d’une dissimulation dans le but de mieux juger et de transmettre ainsi une certaine idée de la vérité, au sens judiciaire, sans rapport avec les standards d’un procès équitable.
Que dans l’enfer d’un drame, les victimes – ou les auteurs – ne veuillent pas entendre, ne puissent entendre certains débats, certaines vérités, certains mensonges, chacun peut le comprendre. Que l’on en vienne à souhaiter que soient cachés des questionnements, des réponses, qui feront la décision finale, prononcée par la juridiction et qui s’imposera aux parties, semble d’une grande imprudence.
Il ne resterait alors qu’une impression d’injustice profonde et d’incompréhension décuplée, d’une justice qui souffre déjà à se faire entendre. Comment expliquer, aux parties, au public, une décision fondée sur des paramètres volontairement masqués par une expression qui voudrait que l’on fasse l’économie du débat, notamment, sur la volonté ?

Contagion à d’autres délits ?
Il faut, en l’état, juger que l’idée est mauvaise car de nature à noyer dans un marécage d’incompréhension les justiciables sans que cela n’ait aucune influence sur ces juges auxquels on fait procès d’être toujours trop doux avec les auteurs d’infraction de droit routier.
On ne s’étonne plus d’ailleurs que le tour de passe-passe soit proposé en « routier ».
Définitivement, l’infractionnisme en cette matière génère typiquement une volonté de répression plus grande. Si l’homicide routier, qui ne dit plus son nom, plus volontaire qu’involontaire doit exister, fera-t-on la même démarche pour d’autres délits involontaires commis sous alcool ou après usage de stupéfiants ? Craignons les expressions qui font l’économie de toute analyse pour tisser un lien plus sûr, et aveugle, entre des faits, souvent complexes, et une sentence que l’on estimerait plus juste au motif unique qu’elle serait plus dure. Mener, à terme peut-être, le délit vers un acte de nature volontaire, ne satisferait peut-être que les assureurs qui, tenus à ce jour  de garantir les victimes, pourraient ainsi demander à être mis hors de cause, puisqu’ils n’ont pas vocation à garantir le dommage résultat d’une infraction volontaire…
Décidément, non, « routier » n’est pas synonyme d’intention criminelle.

Maître Xavier Morin
Docteur en Droit, avocat au Barreau de Paris spécialisé dans le droit routier


 
Source : Actualités du droit