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Contrôle de la motivation de la garde-à-vue : quels sont les pouvoirs de la chambre de l'instruction ?

Pénal - Procédure pénale
07/04/2017
La Chambre criminelle de la Cour de cassation considère dans la présente décision que la chambre de l’instruction, saisie d’une requête en nullité de la garde-à-vue, a le devoir de vérifier que la mesure était bien justifiée par l’un des motifs de l’article 62-2 du Code de procédure pénale. Mais elle va bien plus loin, en lui accordant le pouvoir d’y ajouter une justification non retenue par les enquêteurs.
En l’espèce, une enquête préliminaire est ouverte en février 2014, pour des faits datant de 2012 et 2013 et relevant des qualifications de soustraction, détournement ou destruction de biens d’un dépôt public par le dépositaire et de recel. La prévenue de l’infraction principale est entendue par les enquêteurs dans le cadre d’une audition libre, puis convoquée aux fins d’être placée en garde-à-vue. La mesure de contrainte est décidée le 16 juin 2015, pour, aux termes du procès-verbal, « permettre l’exécution des investigations impliquant sa personne ou sa présence » et « garantir sa présentation devant le procureur de la République » (comp. C. pr. pén., art. 62-2, 1° et 2°). Après que la prévenue ait été auditionnée, la garde-à-vue est levée le soir même, puis reprise le lendemain matin. Au cours de cette journée du 17 juin, la prévenue est confrontée à une autre personne suspectée, également placée en garde-à-vue. L’ensemble des personnes soupçonnées sont présentées au parquet, qui requiert l’ouverture d’une information judiciaire. Mise en examen ce même jour, la prévenue est placée sous contrôle judiciaire. Elle dépose une requête en nullité des pièces de la procédure, notamment de celles liées à la garde-à-vue et des actes subséquents et fait notamment valoir que le fait qu'il y ait eu une levée de garde-à-vue en fin de journée du 16 juin, avant l'ouverture d'une seconde garde-à-vue, le 17 juin au petit matin, pour en déduire que la garde-à-vue n'était pas indispensable pour empêcher d'éventuelles confrontations préjudiciables à l'enquête.

Le 20 juillet 2016, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Toulouse rejette les demandes d’annulation et considère que la garde-à-vue est régulière. Sur le point soulevé par la requérante, elle estime que « le fait que, pour des raisons d'ordre humanitaire, certaines des confrontations aient pu n'être organisées qu'après une levée, pour la nuit, des garde-à-vue, ne peut être considéré comme significatif de ce que les auditions réalisées les 16 et 17 juin auraient pu, avec la même efficacité, être menées en dehors de toute coercition ». La chambre de l’instruction indique que « par ailleurs, au vu des données recueillies au cours de l'enquête préliminaire, avant même les garde-à-vue, le procureur de la République pouvait parfaitement considérer comme possible, voire vraisemblable, que certaines de personne entendues soient amenées à être déférées, sans attendre, devant lui pour appréciation de la suite à donner à l'enquête » et que, « dans cette perspective, la mise en place de ces mesures de garde-à-vue était effectivement logique et nécessaire ». Elle se fonde alors sur la chronologie de la procédure pour étayer cette justification : « d'ailleurs, au vu des auditions et confrontations réalisées dans le temps de la garde-à-vue, le procureur de la République a effectivement décidé de présenter [les prévenus] à un juge d'instruction, puisqu'il avait été décidé d'ouvrir une information »

Plus encore, les magistrats toulousains procèdent à une sorte d’adjonction de motifs justifiant la mesure, en rappelant que l'appréciation de la nécessité de placement en garde-à-vue d'une personne, au regard des objectifs définis par l'article 62-2 du Code de procédure pénale, doit se faire au stade du placement en garde-à-vue et que « le fait que les demandeurs à la nullité aient été entendus librement dans un premier temps n'est nullement incompatible avec une nouvelle audition, cette fois dans le cadre d'une garde-à-vue, les autorités en charge de l'enquête ayant pu évoluer dans leur analyse relative aux critères de l'article 62-2, notamment au résultat des autres diligences menées entre-temps ». Le glissement dans les motifs de la mesure se réalise lorsque la cour affirme que « dès l'instant où, au moment de la décision de placement en garde-à-vue, des confrontations apparaissent comme devoir être vraisemblablement organisées, l'objectif d'empêcher d'éventuelles concertations préjudiciables à l'enquête justifiait une mesure coercitive ».
La chambre de l’instruction en déduit qu’il résulte de l'ensemble de ces éléments que les mesures de garde-à-vue ont pu valablement être décidées au regard dispositions de l'article 62-2 du Code de procédure pénale, mais non pas seulement pour les motifs visés au 1° et 2°, mais aussi du 5° de cet article.

Les prévenus forment un pourvoi en cassation et relèvent notamment, fort logiquement, que la chambre de l'instruction saisie d'une requête en nullité justifiée par le défaut de réunion des critères posés par l'article 62-2 du Code de procédure pénale ne pouvait, pour justifier cette mesure, s'appuyer sur des critères qui n'avaient pas été retenus par les officiers de police judiciaire. Dès lors, en motivant sa décision au regard du critère prévu au 5° de l'article 62-2 du Code de procédure pénale, relatif à la nécessité de faire obstacle à des concertations, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale.

La question posée à la Cour de cassation portait donc sur l’étendue du pouvoir de contrôle de la chambre de l’instruction sur les motifs invoqués pour justifier la garde-à-vue. La Chambre criminelle s’assure d’abord de pouvoir trouver, dans les énonciations de l’arrêt, les éléments permettant de confirmer que la garde-à-vue était bien l’unique moyen de parvenir à l’un au moins des objectifs prévus par l’article 62-2 du Code de procédure pénale. À cet égard, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Toulouse a bien exercé son pourvoir de contrôler la justification de la mesure de contrainte.
La Cour de cassation prolonge son raisonnement et définit l’étendue de ce « contrôle », en énonçant que « dans l’exercice de ce contrôle, [la chambre de l'instruction] a la faculté de relever un autre critère que celui ou ceux mentionnées par l’officier de police judiciaire ».
Est-ce à dire que, finalement, peu importe le motif retenu par les enquêteurs, tant que la mesure peut être justifiée ? Ceci, y compris, peut-être, au prix d’une confirmation, a posteriori, d’un motif incertain ?
 
Source : Actualités du droit