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Licenciement économique : que font les autres pays ?

Social - Contrat de travail et relations individuelles, Europe et international
27/05/2016
Rencontre autour du projet de loi El Khomri avec François Taquet, professeur de droit social (IESEG, Skema BS), avocat, spécialiste en droit du travail et protection sociale, et directeur scientifique du réseau Gesica, à l’initiative d'une étude comparative européenne.
Parmi les mesures contestées du projet de loi El Khomri , celles relatives au licenciement économique, le nouveau texte prévoyant des critères plus précis et plus larges : quatre trimestres consécutifs de baisse du chiffre d'affaires ou deux trimestres consécutifs de perte d'exploitation suffiront à caractériser les difficultés économiques susceptibles de justifier un licenciement.
Simple codification de la jurisprudence existante pour les uns, véritable boîte de Pandore pour les autres, l’occasion, pour le réseau d’avocats Gesica et François Taquet, d’étudier les pratiques des autres pays en la matière.

Jurisprudence sociale Lamy : Comment est né ce projet ?
François Taquet : Sans doute est-il un lieu commun d’affirmer que nous vivons dans un contexte de mondialisation et que l’on ne peut donc ignorer ce que font nos voisins. Dès lors que le projet de loi Travail a été publié, nous nous sommes logiquement posé la question de savoir comment procédaient les autres pays. Qui mieux que le réseau d’avocats Gesica (fort de ses 2 200 avocats répartis au sein de 250 cabinets en France et à l’étranger, avec une section internationale dynamique sur tous les continents) pouvait procéder à une étude aussi exhaustive dans un délai très bref ?

JSL : A-t-il été difficile à mettre en œuvre ?
F. T. : Étrangement non, parce que le réseau est structuré et que les professionnels ont totalement joué le jeu. Afin d’être le plus clair possible, nous avons synthétisé les pratiques des pays étrangers sur trois points particuliers : la définition du licenciement économique, le plafonnement des dommages intérêts pour rupture abusive, et les délais de prescription en cas de contentieux devant les juridictions du travail. Outre les pays européens, cela donne des contributions sur des droits dont on entend souvent beaucoup moins parler, tel le droit du travail canadien, argentin ou chilien !

JSL : Peut-on tirer des enseignements pour la France ?
F. T. : Une rapide étude des droits étrangers montre que les législateurs ont très vite adapté le droit du travail à la réalité économique, souvent par des mesures draconiennes. Or, il n’en est rien dans le cadre du projet de loi El Khomri.
Ainsi, dans le cadre du projet de loi Travail, les précisions relatives au licenciement économique ne remettent pas fondamentalement en cause une définition qui pose difficulté aux juristes depuis 30 ans. En s’inspirant du droit espagnol, le texte ne fait que préciser la notion de difficultés économiques. Certes, ces précisions ne sont pas inutiles, mais on aurait pu s’attendre à une ambition beaucoup plus importante. En effet, et en la matière, notre droit n’est ni clair, ni lisible, ni simple, ni sécurisant pour les employeurs et paradoxalement peu protecteur des droits des salariés ! C’est une occasion manquée…
 
Concernant le plafonnement des indemnités de rupture abusive, là encore, l’occasion est manquée. Maints pays se sont orientés vers un barème des indemnités de rupture abusive afin d’éviter toute dérive des juges. Certains États pratiquent un système de plafonnement des plus simples :
  • la Suisse, six mois de salaire ;
  • Monaco, la Bulgarie, l’Estonie : six mois de salaire maximum si le salarié n’a pas atteint l’âge lui permettant de percevoir une pension retraite ;
  • la Côte d’Ivoire, l’Albanie, la Slovaquie : un an de salaire maximum (ou s’agissant de la Côte d’Ivoire et par décision spécialement motivée 18 mois de salaire)
  • la Slovénie : 18 mois de salaire maximum ;
  • la Finlande, l’Irlande, le Maroc : 24 mois de salaire maximum.
En Italie, le « jobs act » a introduit un système plus subtil : en cas de licenciement jugé injustifié par le juge, dans les entreprises de plus de 15 employés, l’indemnisation est égale à 2 mois de salaire par année d’ancienneté (minimum 4 mois et maximum 24 mois) ; pour les entreprises de 15 employés ou moins, l’indemnisation est égale à 1 mois de salaire par année d’ancienneté (minimum 2 mois, maximum 6 mois).
 
JSL : La pratique d’un pays vous a-t-elle particulièrement intrigué ?
F. T. : Chaque pays a sa culture, son histoire. Et l’on sait qu’il est difficile de prendre un modèle étranger pour le coller en France. Un bel exemple pourrait être trouvé au travers de l’apprentissage qui fonctionne bien en Allemagne et médiocrement en France malgré les aides accordées. Mais, ce qui est clair, c’est que les pays européens qui nous entourent ont pris conscience de la nécessité de bouleverser une législation qui appartenait souvent au passé et qu’il convenait d’adapter. Les évolutions des législations italiennes, espagnoles ou belges sont tout à fait remarquables sur ce point.
Que de (gentilles) remarques avons-nous eues de non confrères étrangers, hors étude, sur l’arrogance et le conservatisme français dans un monde qui évolue sans cesse ! Sans nul doute, une analyse de droit comparé constitue t’elle une belle leçon d’enseignement et d’humilité !
Un point qui m’a frappé est celui du souci qu’accordent beaucoup de pays à la sécurité juridique de l’employeur suite à un licenciement. Cette prise de conscience est récente en France. Ainsi, l’analyse du droit comparé indique que les délais de contestation suite à un licenciement sont souvent brefs. Pour ne prendre que quelques exemples, le droit allemand fixe à trois semaines le délai d’introduction de l’instance à compter du terme du contrat ; le droit espagnol fixe ce délai à 20 jours, le droit roumain ou turc à 30 jours. Il est de trois mois en droit luxembourgeois, en Angleterre et Pays de Galles, quatre mois en Suède, 6 mois au Chili….
S’agissant de la France, on se souvient qu’avant la loi du 17 juin 2008, la prescription était de trente ans en matière de dommages intérêts. Désormais, la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 prévoit que l’action sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Bien que la France ait abaissé les délais de prescription, force est de constater que ceux-ci restent bien plus favorables aux salariés que dans la majorité des États étudiés.

JSL : Finalement, au vu de tous ces éléments et de toutes ces pratiques, peut-on entrevoir le licenciement économique en France sous un autre angle ?
F. T. : Suite à l’adoption du projet de loi Travail, cette étude conservera son actualité puisqu’il appartiendra au prochain législateur de mettre en place une réforme que le Gouvernement n’a pas eu ici le courage de mener jusqu’à son terme.
Sans doute faut-il d’abord prendre conscience que notre arsenal législatif n’est pas adapté à la situation économique, d’une trop grande complexité, et peu protecteur des droits des parties. Pour d’autres, et vis-à-vis des investisseurs étrangers, il jouerait même le rôle d’épouvantail. Rares sont les textes qui agrègent autant de critiques ! Et il appartiendra ensuite d’établir un texte d’équilibre entre protection du salarié, sécurité juridique de l’employeur, souplesse de la définition du licenciement économique. Et, sur ces points, certains enseignements de pays étrangers peuvent se révéler des plus utiles…

Propos recueillis par Fany Lalanne
 
 
Source : Actualités du droit